Chaque lundi je te propose une analyse liée au sport business sous la forme d’un article.
Et chaque jeudi, je te partage un épisode du podcast Beyond The Court où je vais à la rencontre des acteurs qui font le sport.
J’en profite pour souhaiter la bienvenue aux nouveaux supporters du Beyond The Court Club. Tu peux consulter toutes les anciennes éditions ici.
Bonjour à tous,
Aujourd’hui, nous allons parler d’un problème du tennis.
1 milliard de personnes suivent le sport mais il ne génère que 1.3 % des revenus en droit télé (tout sport confondu).
Or les droits télés (ou droits de diffusion) sont la principale source de revenus dans le sport professionnel.
43 % des revenus générés par la Ligue 1 Uber Eats (saison 2020/21)
56 % des revenus de Wimbledon (en 2022)
68 % du budget de l’AS Monaco (saison 2018/2019)
Le tennis ratisse large.
Mais suivre un sport de loin et être fan sont deux choses différentes.
Et ce qui compte, c’est l’engagement des fans.
Nous avons un revenu par fan qui est de 0,50 $ US. Le golf, c'est 3 dollars, soit six fois plus. Comment pouvons-nous augmenter ce chiffre en offrant une meilleure expérience au fan qui veut peut-être plus de tennis, qui veut s'engager davantage, qui veut payer plus, mais qui ne peut pas le faire ? (Andrea Gaudenzi - Boss de l’ATP)
Le tennis est suivi à l’international contrairement à certains sports qui sont plus localisés.
Le meilleur exemple est le football américain qui génère 10 milliards de droits TV uniquement sur le sol américain.
À titre de comparaison, le tennis c’est moins d’1 milliards sur l’ensemble du globe.
Pourtant, il y a deux fois moins de personnes qui suivent le Foot US que le tennis.
Comment expliquer le faible montant des revenus en droits TV de la petite balle jaune ?
C’est ce que nous allons voir aujourd’hui (et la semaine prochaine).
Je vais développer 10 raisons qui expliquent ce faible montant.
Voici les 5 premières :
La fragmentation du tennis.
Un sport détesté par les diffuseurs
Un temps de jeu effectif très faible
Le paradoxe du tennis.
Un sport mal filmé.
Bonne lecture aux 212 supporters du Beyond The Court Club.
Si tu n’es pas encore abonné, tu peux rejoindre le club.
1) La fragmentation du tennis.
Il y a trop d’instances qui gèrent le tennis mondial.
On retrouve la Fédération Internationale de Tennis (ITF), l’Association Tennis Player (ATP), la Woman Tennis Association (WTA).
l’ATP est l’institution qui gère le tennis mondial masculin. Elle fut créée en 1972 afin de mieux structurer le sport et défendre les intérêts des joueurs (comprendre les intérêts financiers).
La WTA est son homologue pour le circuit féminin. Elle fut créée un an après l’ATP par Billie Jean King - star du tennis dans les années 60 et 70 - afin de défendre les intérêts des joueuses qui gagnaient à l’époque 10 fois moins que les joueurs.
Dès sa création, elle obtient la parité des gains lors de l’US open. Mais il faudra attendre 2007 pour que Wimbledon en fasse de même. Cette parité est-elle justifiée ? Vaste question mais ce n’est pas le sujet de cette newsletter.
La fédération internationale de tennis s’occupe de l’organisation de la Coupe Davis (enfin ce qu’il en reste) et des 4 Grands Chelem en partenariat avec les fédérations nationales associées :
Open d’Australie et Tennis Australia
Roland Garros et la FFT
Wimbledon et England Lawn Tennis and Croquet Club
US OPEN et l’USTA
La FFT vend les droits de Roland Garros.
L’USTA vend les droits de l’US Open
L’ATP qui gère le circuit professionnel masculin vend les droits de ses tournois (Masters 1000, ATP 500 et ATP 250)
Cette fragmentation ne permet pas aux instances d’être en position de force pour négocier les contrats. Chacun va vendre son (ou ses) tournoi dans son coin.
Du moins, c’est l’hypothèse de Bernie Eccleston (le grand argentier de la formule 1 dont j’ai déjà parlé ici).
Bernie avait confié à Etienne de Villiers (ancien CEO de l’ATP) qu’il souhaitait prendre le contrôle du tennis à une certaine époque. Toutefois, il aurait investi à deux conditions :
Unifier toutes les instances du tennis
Prendre lui-même les décisions
Je ne suis pas quelqu’un qui supporte bien la démocratie. Il faut une sorte de dictateur. (Bernie Eccleston lors d’une conversation privée avec Etienne de Villlers).
L’idée serait de calquer le modèle américain avec un commissionnaire qui prend les grandes décisions stratégiques.
Bernie souhaitait l’unification des instances afin de négocier conjointement :
Les contrats avec les médias (droits TV)
Les contrats avec les sponsors
Bref avoir un produit tennis plus homogène et cohérent à vendre aux annonceurs pour augmenter les revenus générés.
Nous verrons dans une prochaine édition, que ce projet de réunification est en train de se réaliser.
2) Un sport détesté par les diffuseurs.
Au tennis : "Plus c'est long, plus c'est bon."
Enfin, pas pour tout le monde.
"C'est encore long ? Quand est-ce que ça se termine ?
Tout fan de tennis a déjà entendu ces paroles.
En effet, l'une des particularités du tennis c'est la durée des rencontres. Elle est inconnue.
Contrairement à un match de foot et de basket qui ont des durées prédéterminées, Rafael Nadal et Novak Djokovic bataillent régulièrement 3h, 4h, 5h... pour le plus grand plaisir de certains fans.
Le record est même de 11h05 entre Nicolas Mahut et John Isner. Les deux joueurs s’étaient affronté pendant 3 jours lors du 1er tour de Wimbledon 2010. Ce match en quelques chiffres.
La durée du match : 11 heures et 5 minutes dont 8 heures et 11 minutes pour le dernier set
183 jeux disputés
Nombre d’aces cumulés : 216
Nombre de points joués : 980
Toutefois, cette durée incertaine des rencontres ne plaît pas à tout le monde.
Et notamment aux diffuseurs.
Programmer une rencontre est un enfer pour les chaînes de télévision. Exemple : les deux dernières finales de Roland Garros :
2h18 en 2022
4h12 en 2021
De plus, le temps de jeu effectif au tennis est très faible.
3) Un temps de jeu effectif très faible.
Dans les années 90 à Wimbledon, le temps de jeu effectif était de 8%.
Le gazon était ultra-rapide. Et pour gagner, il fallait se ruer au filet.
La rapidité des surfaces couplée au progrès technologique des raquettes ont raccourci la durée des échanges.
Le sport devenant un concours de service, les spectateurs ont commencé à se désintéresser du tennis.
Pour y remédier, les surfaces ont été ralenties afin d'augmenter le nombre d'échanges.
Une surface fut même interdite.
Ainsi, le sport a évolué.
Il est devenu plus physique, les échanges sont devenus plus longs et le temps pris entre les points a fortement augmenté entre 1990 et 2012.
+8 secondes en moyenne entre chaque point.
Rafael Nadal et Novak Djokovic sont des spécialistes pour prendre leur temps.
Leur finale de l'Open d'Australie 2012 est (même) à l'origine d'un changement de règle.
En effet, lors de cette rencontre, Nadal et Djokovic ont cumulé 70 minutes de temps supplémentaires entre les points.
Les instances du tennis ont décidé de sévir.
Ells ont mis en place des mesures comme la Time Clock (horloge indiquant au serveur le temps qu'il lui reste pour servir sous peine d'une sanction - pas de 1er service).
Le tennis est désormais entre 12 et 15% de temps de jeu effectif.
À titre de comparaison, le foot est à 60/65% de temps de jeu effectif (soit 55/60 minutes sur les 90).
À l’ère des réseaux sociaux, où tout va très vite, le tennis est anachronique.
Et cela nous amène sur l’un des paradoxes du tennis.
4) Le paradoxe du tennis
Quel est votre top 5 des plus grands matchs de l’histoire ?
Il y a de grandes chances que vous me citiez 5 rencontres en Grand Chelem.
Pourtant beaucoup de gens me disent : « Je ne veux plus passer 3, 4 voire 5h d’affilée devant un match de tennis. J’aime le sport mais ça ne m’intéresse plus. »
Il y a donc un paradoxe.
Les matchs qui durent longtemps entrent dans l’histoire du tennis.
4h57 pour la finale de Wimbledon 2019 entre Federer et Djokovic
4h37 pour la demi-finale de Roland Garros 2013 entre Nadal et Djokovic
4h47 pour la finale de Wimbledon 2008 entre Federer et Nadal
Mais le grand public et même certaines fans ne veulent plus les regarder.
La consommation du sport et des événements sportifs a changé.
Le Live ne représente plus que 55 % du total des vidéos sportives regardées. Les fans s’orientent de plus en plus sur les contenus courts
À l’ère de Tik Tok et des réseaux sociaux, le tennis doit-il écouter les sirènes des formats courts ?
Certains comme Mouratoglou tentent de faire bouger les lignes avec l’UTS.
Au contraire, pour certains le sport doit embrasser son histoire et son essence. Un sport de temps long qui va à rebours de notre société.
5) Un sport mal filmé.
Ici, c’est un avis très personnel. Mais le tennis est très mal filmé.
C’est même catastrophique.
L’angle de caméra utilisé ne retranscrit absolument pas :
La vitesse des échanges
La trajectoire et les effets imprimés à la balle
L’intensité du jeu de jambes et la vitesse des déplacements.
90 % du temps, c’est la vue en hauteur et de derrière qui est utilisée.
Je lui préfère une vue plus basse : « Le Court Level View ».
Sur Youtube, les vidéos avec cet angle de caméra sont très prisées. Voici un exemple cette caméra basse :
Le revers délicieux de Richard Gasquet
Je vous invite à regarder cette vidéo : 30 Brilliant Court-Level Tennis Points
Le tennis gagnerait à repenser son expérience pour le téléspectateur.
La vue du dessus, ne permet pas de comprendre ce qui se passe réellement sur le terrain.
Une réalisation plus dynamique serait bénéfique pour le sport.
C’est tout pour aujourd’hui.
La semaine prochaine, j’évoquerai :
Le modèle de tournoi versus le modèle de championnat
La fragmentation de l’offre pour suivre le tennis
Content is king (except for tennis)
Le calendrier surchargé et illisible
L’après Big 4 (Federer, Nadal, Djokovic et Murray).
Enfin, je mentionnerai les trois motifs d’espoirs pour le tennis
Si tu as aimé cette édition, n’oublie pas de mettre un petit like !
Ça m’aide à comprendre quels sujets je dois développer.
Et je te dis à jeudi pour le podcast de la semaine. Mon invité nous racontera son tour des stades aux États-Unis (plus de 30 visités en quelques mois).